Ceci n’est pas un énième article pour faire des fiches de personnages. C’est plutôt un bilan de mes propres difficultés et trouvailles. Un article plus personnel donc. En effet, lorsque j’écris, je suis souvent déçue du résultat, je ne sais pas comment produire ce que j’imagine. Comme dirait Stephen King, ma boite à outils n’est pas assez remplie. Alors je me suis mise à chercher auprès des auteurs que j’admire quelques solutions. Voici ces « outils » qui m’accompagnent désormais lorsque j’écris. J’espère qu’ils vous seront également utiles.
Le bon personnage, un ego imaginaire :
Une phrase de Milan Kundera
L’une des difficultés que l’on peut rencontrer lors de la création du personnage, c’est la tendance à s’y mettre trop soi-même. Les personnages, tous semblables entre eux, n’ont alors aucun relief. S’il s’agit d’un piège dont on est facilement conscient, reste le problème de savoir comment faire autrement. Ce qui m’a ouvert une porte, c’est de prendre le problème à l’envers, grâce à cette phrase de Milan Kundera dans l’Art du Roman :
…les personnages de mon roman sont mes propres possibilités qui ne se sont pas réalisées. (…). Ils ont, les uns et les autres, franchi une frontière que je n’ai fait que contourner.
Car oui, c’est certain, tout auteur se met dans ses personnages, mais il faut que ce soit productif. Pour paraphraser des termes de psychanalyse, il ne s’agit pas de projeter son « moi » dans un personnage et d’en faire une sorte de duplicata. Ce serait plutôt se projeter dans le « moi » du personnage pour essayer de voir tout ce que l’on pourrait faire, si on était lui.
Gammes d’écriture pour un bon personnage
Bon, je suis d’accord, c’est un peu compliqué en théorie. Voici un exemple pratique :
Vous n’êtes plus vous, vous êtes le criminel d’un roman policier.
- Comment voyez-vous les victimes?
- Quel rapport entretenez-vous avec la vie humaine, avec la morale ?
- Mais aussi, comment percevez-vous votre lieu d’habitation, les musique, les couleurs (ou autres détails importants dans votre récit) ?
- Ensuite, comment allez-vous vous exprimer, qu’est-ce que va vous attirer, vous révulser, vous faire peur… ?
- Rappelez-vous, votre but est d’expérimenter ce qu’un autre pourrait penser. Il ne s’agit pas de donner à un personnage ce que vous, auteur, pensez. Essayez, non seulement d’écrire cette vision des choses, mais de la vivre (pendant un temps limité !).
- Enfin, revenez toujours à votre propre opinion, pour vérifier qu’elle est bien différente. C’est une expérience désarçonnante mais enrichissante.
Si cela vous parait impossible, voici un deuxième exercice.
- Dans votre entourage, choisissez une personne que vous connaissez moyennement. Mettez-là dans une situation romanesque et imaginez comment il/elle pourrait réagir.
- Vous pouvez vous entraîner également avec des personnages de fiction ou de parfaits inconnus que vous avez pu observer à l’arrêt de bus, à la queue de la boulangerie…
- Là aussi, faites toujours des vérifications entre votre texte et le caractère que vous avez défini à l’avance. Il y a parfois des glissements surprenants !
- N’hésitez pas non plus à noter des expressions, des réactions qui pourraient vous être utiles pour de futurs personnages.
En résumé, perdez votre personnalité pour vous fondre dans celle de votre personnage au lieu de vous projeter en lui.
Personnage principal versus personnages secondaires :
« Et si le véritable talent du narrateur –romancier ou cinéaste- ne résidait pas dans la création des héros mais dans celle des personnages secondaires ? » demande Antonio Muñoz Molina [1]. Un bon personnage est toujours pris dans un réseau. Si vos personnages secondaires ne sont pas à la hauteur, votre protagoniste s’en trouve affaibli. Par ailleurs, c’est souvent la multiplicité des points de vue qui fait les œuvres remarquables :
Le roman, c’est le paradis imaginaire des individus : c’est le territoire où personne n’est possesseur de la vérité , ni Anna, ni Karénine, mais où tous ont le droit d’être compris, et Ana et Karénine[2].
Kundera nous rappelle une chose essentielle. Tous nos personnages doivent avoir leurs raisons d’agir, leur part de complexité. Mais aucun ne doit tout contenir à lui seul. Comme le dit Stephen King, oublier cette multiplicité du réel, c’est risquer de faire des clichés ou, pour reprendre ses mots, des “nullités unidimensionnelles” :
Il est aussi important de se rappeler que personne n’est le « méchant » ou le « meilleur ami » ou encore « la pute au grand cœur » dans la vie réelle ; dans la vie réelle, nous nous considérons tous comme le personnage principal, le protagoniste alpha, l’incontournable ; c’est sur nous que sont braqués les projecteurs. Si vous êtes capable d’adapter cette attitude à vos œuvres de fiction, vous ne trouverez peut-être pas plus facile de créer des personnages remarquables, mais vous aurez moins tendance à engendrer les nullités unidimensionnelles qui peuplent tant d’ouvrages de fiction populaire. p. 227
Donc, n’habitez pas seulement votre personnage principal. Allez aussi loger chez les autres et affinez ainsi leurs relations, leurs différences, leurs personnalités.
Le rapport à l’histoire et à l’universel :
Mais un bon personnage ce n’est pas seulement une personne ou une personnalité. Un bon personnage, c’est aussi un pion qui doit faire avancer votre histoire. Il doit donc être en construit en fonction de cette histoire. Et puis, ce sera aussi un porteur de symboles pour votre lecteur, un représentant d’une façon d’agir et de voir le monde. C’est là qu’intervient le pouvoir des grands personnages, ceux qui marquent les époques. Le vrai bon personnage est « un instrument séduisant qui instaure une forme de dialogue entre l’auteur et son lecteur sur l’histoire du monde, sur la place de l’homme et ses désirs dans une société donnée[3]. ». Sa force résidera dans le mélange du courant et du particulier qui permettra à tout lecteur de s’y identifier[4]. Mais attention, les personnages “idées” sont souvent froids et emphatiques. Ce n’est pas le symbole qui porte le personnage. C’est d’abord une individualité qui deviendra un symbole.
Forme de présence du bon personnage
Cela dit, comment incarner de telles idées de personnage dans un texte ? On en revient là à une maxime de base de l’écriture. Montrer et ne pas dire, faire agir sans commenter, limiter les informations. Ainsi, Virginia Woolf donne l’exemple de la caractérisation de Darcy et Bingley dans Orgueil et préjugé (L’art du roman). C’est par le dialogue, l’allusion à des détails précis et quotidiens, l’ironie aussi que le lecteur (et l’héroïne) voient apparaître leurs caractères. C’est donc en le voyant agir, parler, penser -en d’autres termes- vivre que le personnage s’incarne. Il faut trouver le détail qui suggère le tout. Réussir à écrire l’attitude ou l’action qui permettra de déduire le caractère tout en faisant avancer l’histoire. Il faut miser sur le petit pour atteindre l’ensemble.
Comme tout cela reste très théorique, je vous proposerai bientôt de faire le travail à l’envers. Je vous inviterai à regarder les personnages qui vous fascinent le plus pour comprendre comment ils sont fabriqués et quels sont leurs secrets de réussite. Et si vous vous lancez dans les propositions d’écriture, n’hésitez pas à nous les envoyer !
Si le thème du personnage vous intéresse, vous pouvez aussi consulter les différents articles de l’atelier d’écriture de cette année. Ils ont tous été consacrés au personnage.
[1]¿Y si la medida verdadera del talento de un narrador -un novelista o un cineasta- no la dieran los héroes, sino los secundarios que inventa? AMM http://xn--antoniomuozmolina-nxb.es/2012/11/raras-alegrias/ [2]Milan Kundera, L'art du roman. [3] Jean Bardet [4] “Y creo que lo que vuelve inolvidable un personaje literario es que sea al mismo tiempo genérico y particular, pues en eso se parecerá a cualquiera de nosotros.” Antonio Muñoz Molina, “La invención del personaje”, in Marina Mayoral El personaje novelesco.