L'Echangeoir d'Ecriture

Recension sur l’écriture

La foi d'un écrivain

La foi d’un écrivain, Ecrire et penser l’écriture avec Joyce Carol Oates.

Avec La foi d’un écrivain, Joyce Carol Oates nous offre sa vision de l’art d’écrire. Un livre agréable à lire, parfois léger, parfois profond, traversé d’une intense réflexion sur ce qui fonde le métier d’écrivain. Qu’est-ce que La foi d’un écrivain ? Pourquoi écrit-on ? Comment ? Comment devient-on écrivain ? Qu’est-ce qui fait que l’on y croit malgré tout, qu’est-ce qui fait tenir « la foi d’un écrivain » ? Ces questions, Joyce Carol Oates y est souvent confrontée. Ce sont celles qu’elle se pose, celles que ses lecteurs lui posent. Elle reconnaît d’ailleurs qu’elle n’a pas -malgré toute son expérience- de réponses sûres à y apporter. Mais elle y a longuement réfléchi, pour elle-même, pour des articles ou des conférences. La foi d’un écrivain est donc l’expression de ses convictions sur le métier d’écrivain. Car pour J.C Oates, l’écriture n’est pas une simple passion. L’écriture est un art, un artisanat, un métier qui doit s’apprendre. C’est une évolution au cours de laquelle l’auteur se construit petit à petit et pas seulement par l’accumulation de signes et de phrases. Le livre de J.C Oates est de ceux qui savent accompagner cette construction de l’écrivain. Ce que vous trouverez dans le livre de Joyce Carol Oates La foi d’un écrivain est un assemblage de réflexions sur plusieurs années. Selon les chapitres vous trouverez donc des témoignages sur l’évolution personnelle de J.C Oates, des affirmations sur sa perception de l’écriture, des tentatives de théoriser certaines étapes de l’écriture, ou encore des conseils, mis pêle-mêle et parfois contradictoires. L’introduction invite ainsi à penser le métier d’écrivain. Le chapitre « conseil à un jeune écrivain » est à la fois une ode au travail et à la confiance mais avant tout une invitation à la lecture. « Courir et écrire », « Note sur l’échec » sont presque des explications pratiques. Enfin « Inspiration », « Lire en écrivain » s’intéressent au processus de création… Par ailleurs, il est important de souligner que J.C Oates ne se fonde pas uniquement sur son expérience. Elle utilise aussi les témoignages des auteurs qu’elle admire et dont elle propose de longs extraits et analyses. Un livre, donc, qui ne se résume pas mais qui se lit et se relit, se médite aussi. Un livre qui donne de l’énergie et du recul, qui invite à se lancer dans l’aventure de l’écriture et nous la révèle toujours plus enivrante qu’on n’aurait oser l’imaginer. Ce que vous n’y trouverez pas dans La foi d’un écrivain Ce n’est pas un manuel pratique comme pourrait l’être L’anatomie du scénario ou certains pseudo-guides d’écriture. Vous n’y trouverez pas de réponses toutes faites ou de méthodes à mettre en place. A l’image des compilations de Stevenson, Austen ou Kundera, c’est un livre d’auteur en construction. J. C Oates le redit souvent : on ne devient écrivain que sur la durée. Son livre est aussi le témoignage d’une évolution. Il vous faudra donc tirer vos propres conclusions, réfléchir pour vous en nourrir. Surtout il faudra prendre le temps nécessaire à la maturation de votre pensée.. Quelques passages marquants : Il y aurait tellement de passages à retenir, méditer, travailler… En voici cependant quelques uns, pour vous donner envie de lire le reste. L’art d’écrire : un artisanat Il est indispensable de considérer cet art comme un métier. Sans métier, l’art reste du domaine de l’intime. Sans art, le métier n’est que procédé. Il faut encourager les écrivains jeunes ou débutants à lire beaucoup, continuellement, aussi bien des classiques que des contemporaines, car si l’on ne s’immerge pas dans l’histoire de cet art, on est condamné à demeurer un amateur : quelqu’un pour qui l’enthousiasme créatif constitue quatre-vingt-dix-neuf pour cent de l’effort créatif. (…)Plongez-vous dans un écrivain que vous aimez et lisez tout ce qu’il ou elle a écrit, y compris ses premiers ouvrages. Surtout ces premiers ouvrages. Avant que le grand écrivain ne devienne grand, ou même bon, il. elle a tâtonné à la recherche d’une manière, d’une voix, peut-être exactement comme vous. Ayez confiance : la première phrase ne peut être écrite avant que la dernière l’ait été. Ce n’est qu’alors que vous saurez où vous alliez et où vous étiez. Pour cette raison, je pense que toute forme d’art est un genre d’exploration et de transgression (…) Ecrire c’est envahir l’espace d’autrui, ne serait-ce que pour perpétuer sa mémoire ; écrire, c’est s’exposer à la critique irritée de ceux qui n’écrivent pas, ou qui n’écrivent pas exactement comme vous, qui verront peut-être en vous une menace. Les histoires nous viennent sous forme d’apparitions, qu’il est nécessaire d’incarner avec précision. Problemes d’écriture Ma méthode consiste à réviser continuellement ; lorsque j’écris un long roman, je reviens chaque jours sur des parties précédentes, que je réécris afin de garder une voix cohérente, fluide ; lorsque je rédige les deux ou trois derniers chapitres d’un roman, je le fais en même temps que j’en réécris le début, afin que idéalement du moins, le roman ressemble à une rivière au cours uniforme, dont chaque passage est en harmonie avec tous les autres. Nous savons tous ce que c’est qu’avoir eu l’inspiration, mais nous ne pouvons être sûrs d’en avoir à nouveau. La plupart des écrivains s’appliquent avec ténacité à leur travail, dans l’espoir que l’inspiration reviendra. En général, la fiction de qualité doit sa profondeur à un récit absorbant, à des personnages méritants et au fait qu’elle est en même temps une sorte de commentaire d’elle-même. (…) Mais la fiction ne peut être détachée du commentaire, sinon au risque de la réduire à un simple enchaînement d’événement dépourvus d’âme. Je dois raconter est la première pensée de l’écrivain ; la seconde est : Comment raconter ? A travers nos lectures, nous découvrons la diversité des solutions à ces questions, la marque personnelle que leur imprime chaque individu. Car c’est à la jonction de la vision personnelle et du désir de créer une vision collective, publique, qu’art et métier se confondent. Et pour vous, quels sont les conseils qui vous ont le plus marqués ? Quels auteurs vous portent et vous donnent envie de continuer à écrire ? [wysija_form id=”1″]

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Penser l'écriture changer le roman

Ecrire et penser l’écriture avec Sophie Divry : “Rouvrir le roman”.

Penser l’écriture : Avec son expérience d’écrivain et de critique, Sophie Divry met à notre disposition ses connaissances littéraires mais aussi ses propres « chantiers » d’écriture. Elle nous montre comment penser l’écriture, la renouveler, l’adapter aux exigences du moment présent et de l’histoire envisagée.   L’essai de Divry est d’accès facile, avec des exemples clairs et percutants. Un texte qui n’oublie ni l’humour ni les revendications et qui ouvre des pistes pour faire vivre la littérature contemporaine. Ce que vous y trouverez : La première partie du texte passe en revue les grands débats qui agitent la littérature contemporaine. On y trouvera ainsi : La question de l’autonomie de l’auteur par rapport à la société. Des interrogations autour de l’engagement éthique dans la littérature. Des points sur des problèmes de style, tel que la place symbolique du présent et du passé simple, des narrations chorales ou focalisations internes…. Et même les débats économiques qui agitent le monde du livre et l’influence qu’ils peuvent avoir sur les auteurs. Toute cette première partie invite donc le lecteur à pour se poser des questions sur ce qu’est le roman contemporain, ce qui le fait, ce que serait innover en littérature. Dans la deuxième partie, l’auteur expose avec générosité ces propres pistes de recherches. Nous découvrons ainsi cinq thématiques qui, selon elle, devraient être les grands chantiers de la littérature contemporaine : La typographie. La place du comique. L’usage des métaphores. L’écriture des dialogues. Les choix de voix narratives. Personnellement, tous ne me semblent pas d’égale importance. Mais chacun peut y trouver des pistes de réflexions intéressantes. Ce qui m’a particulièrement marquée : J’ai toujours été intéressée par les questions théoriques. Cependant,  j’avais l’impression que c’était un travail autre, un travail me faisait perdre en spontanéité d’écriture. A force de penser aux effets générés par ce que j’écrivais, je finissais par craindre de ne créer que des mécaniques sans âmes. Le livre de Sophie Divry m’a permis de ne plus voir la théorie comme une armature rigide et de la considérer comme une énergie supplémentaire, une forme de liberté. De plus, comme le livre regorge d’anecdotes, de témoignages d’auteur, d’extraits de roman, il reste agréable à découvrir pour tous. (On peut aussi noter que le style de Divry n’a rien de pédant et est dépourvu de vocabulaire indéchiffrable aux non-initiés, ce qui n’est pas toujours le cas dans les approches critiques). Enfin, dernière chose qui m’a particulièrement plu dans cet essai : Sophie Divry ne s’arrête pas aux questionnements. Pour elle, penser l’écriture c’est aussi proposer des pistes d’actions, des idées que chacun peut reprendre à son compte, réutiliser, personnaliser. Quelques citations qui ouvrent des pistes d’écriture : Pour avancer, il faut comprendre les problèmes qui nous agitent et parfois nous enferment. Prendre conscience de son art de manière un peu plus intellectuelle ne s’oppose pas à la voix intérieure de l’écrivain. La théorie ne vient pas mettre de sens interdits. Elle lui permet d’éclairer le chemin[1].   La question qui se pose est : comment hériter avec intelligence des recherches du passé sans qu’elles vous dictent vos formes ni se transforment en nouveau conservatisme ? Comment transmettre sans figer ? Sans doute au prix d’une réflexion continuelle sur ce que les pistes d’hier rouvrent dans nos propres problématiques[2].   Cette recherche de nouvelles formes remplit deux fonctions très importantes. Premièrement, elle apporte des plaisirs nouveaux aux lecteurs et, partant, rend nécessaire, le roman comme forme d’art. Deuxièmement, elle permet au roman de dire quelque chose de notre époque qui ne peut être dit que par le roman et par cette époque[3].   Trop souvent considéré comme un supplément d’âme ou un  enfantillage, le comique est un ferment intellectuel majeur dans la création artistique. Il permet non seulement de réjouir le lecteur, ce qui n’a rien de honteux, mais aussi de servir de détonateur pour exploser les cadres établis et inventer des scènes et des personnages qu’on n’aurait pas osé imaginer autrement[4].   L’important est de se demander comment écrire ce monde, décrire le temps présent à travers le filtre irremplaçable et précieux de sa propre sensibilité[5]. Bonne découverte et n’hésitez pas à nous dire ce que vous en avez penser si vous le lisez !  Penser l’écriture avec Sophie Divry, les références : Sophie Divry, Rouvir le roman, Edition Noir sur Blanc, coll. Notabilia, 201p. Penser l’écriture, pour en savoir plus : une interview de Sophie Divry sur France culture. [wysija_form id=”1″] [1]Sophie Divry, Rouvrir le roman, p.23 [2]Op.cit,p. 128. [3]Op. cit, p. 23. [4]Op.cit, p. 160. [5]Op. cit, p. 201.  

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L'atelier d'écriture de Gabriel García Márquez

L’atelier d’écriture de Gabriel García Márquez : « Comment raconter une histoire ».

Trois conseils d’écriture de Gabriel García Márquez. Avouez-le, le titre donne envie ! Un atelier d’écriture animé par un Nobel, par l’auteur de livres aussi divers et somptueux que Cent ans de solitude, Chronique d’une mort annoncée ou L’amour au temps du choléra ! C’est un rêve devenu réalité. Pourtant, il me semble qu’à moins d’être un passionné de l’écrivain colombien, ce n’est pas non plus un ouvrage indispensable. Tout simplement parce qu’il ne s’agit pas d’un essai ou d’un livre de conseils. En fait, c’est la transcription des ateliers menés par García Márquez dans les années 80. Pas un livre à courir acheter donc, sauf pour trois conseils généraux, que chaque (aspirant) écrivain devrait toujours garder en mémoire. MODESTIE, AMBITION, MOYENS : les trois paramètres qui aident à faire le bon écrivain. Tout au long des ateliers de García Márquez, ces trois éléments, reviennent régulièrement. Et ce ne sont pas seulement des qualités qu’il propose mais bien une mise en pratique. La MODESTIE : ne pas avoir peur de couper. En premier lieu, il faut savoir accepter la critique et être soi-même critique vis-à-vis de son travail. Il faut écouter ce que disent les autres. Ne pas avoir peur de (beaucoup) couper. Ne pas hésiter à transformer, recommencer, même si vous avez l’impression que « ça fait bien ». Il faut apprendre à couper, à refaire. Un bon écrivain se reconnaît moins à ce qu’il a publié qu’à ce qu’il a jeté à la poubelle. Évidemment les autres n’en ont pas conscience mais lui, si. Il sait ce qu’il enlève, ce qu’il réécrit, ce qu’il améliore. Quand on recommence quelque chose c’est qu’on est sur la bonne voie [1]. L’AMBITION : La fictionmanie serait-elle le nouveau mot pour ceux qui sont obsédés par la création d’histoires ? Quoi qu’il en soit, le conseil de García Márquez, c’est de travailler et surtout de vous donner les meilleurs modèles. En résumé, vous voulez devenir écrivain ? Ce n’est pas suffisant, vous devez vouloir devenir le « meilleur écrivain ». Pour pouvoir écrire, on doit être persuadé qu’on est meilleur que Cervantès : sinon, on devient pire qu’on ne l’était en réalité. Il faut viser haut, essayer d’aller loin.[2] Les MOYENS : Travailler l’histoire et travailler le style. Bien sûr, tout le monde sait que ce sont des fondamentaux. Alors voici ce que précise García Márquez. D’abord, l’histoire ne doit pas être évidente. Ce ne doit pas être la première idée qui vous vient à l’esprit. L’histoire doit être complexe, profonde, avec plusieurs niveaux et cela… sans que ça se perçoive trop à la lecture. Quant au style, le plus important, c’est qu’il doit s’adapter à l’histoire, la servir, la soutenir. D’accord, me direz-vous, mais comment faire tout ça ? Il n’y a pas de recettes miracles, seulement beaucoup de travail et beaucoup de lectures. Souvent, on croit « tenir » l’histoire, on se dit que tout est résolu, et puis on se met à l’écrire et on se trompe de tonalité, de style. Il peut arriver que cette erreur conduise à une impasse. Par chance, nous avons en nous un petit détecteur qui nous permet de rectifier –et je dis « par chance » parce qu’il y a des méthodes proposées pour écrire des scénarios mais la vérité, c’est qu’aucune n’a la moindre utilité. Tout simplement parce que chaque histoire contient sa propre technique de narration. Le défi du scénariste, c’est de la capter à temps[3]. La préface : Alexandre Lacroix, qui a écrit la préface, prêche pour sa paroisse. Le fondateur de l’école d’écriture Les Mots (Paris) profite de l’espace d’expression de cette préface pour tenter de définir et surtout vanter les ateliers d’écriture. Mais surtout, Alexandre Lacroix clarifie l’un des présupposés de García Márquez, la différence entre l’idée (de départ) et l’histoire (obtenue à l’arrivée). L’idée : L’idée, c’est quelque chose qui se transmet rapidement. L’idée peut s’expliquer en quelques paroles. Elle n’a pas besoin de la personnalisation ou de la complexité des personnages et/ou de l’univers du récit. L’histoire : A l’inverse, dans une histoire, il y a de la profondeur, de l’opacité, des obstacles. Si on la résume en quelques mots, on doit sentir qu’on y perd quelque chose. Pour qu’il y ait une histoire, il faut qu’un ou plusieurs personnages, nettement décrits et situés, rencontrent des obstacles sur leur route. L’idée est du côté de la solution, l’histoire du côté du problème. L’idée est lisse, l’histoire est rugueuse comme la réalité. Ou mieux, une idée, c’est une histoire qui couche avec son lecteur dès la première ligne ; une histoire digne de ce nom, c’est au contraire une créature farouche et mystérieuse qui ne se livrera qu’à la dernière page[4]. Et voilà, donc maintenant, à vous de vous mettre au travail ! [wysija_form id=”1″] L’atelier d’écriture de Gabriel Garcia Marquez, comment raconter une histoire. Paris, Seghers, 2017, traduction par Bernard Cohen et préface d’Alexandre Lacroix. 455 p. [1] Op.cit, p. 25 [2] Op.cit, p.25 [3] Op.cit, p. 28 [4] Op.cit, p. 12

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Boite à libérer son écriture

Libérer son écriture et enrichir son style, avec Pascal Perrat.

Libérer son écriture, pourquoi ? Vous trouvez que vous écrivez toujours le même type d’histoires ? Vous avez envie de tenter d’autres styles, d’affuter le vôtre, de changer de regard ? Voici le livre pour rompre avec la monotonie et se lancer dans des découvertes stylistiques inédites. Pour que, tout à coup, apparaissent des formulations nouvelles, des liens insoupçonnés, des idées lumineuses.

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Jane Austen, lettres

Ecrire avec Jane Austen : Du fond de mon cœur, lettres à ses nièces.

  Vous n’avez jamais rêvé de recevoir les conseils de votre auteur préféré ? Avec Jane Austen, c’est presque possible. Je m’explique. Jane Austen avait plusieurs nièces qui écrivaient et lui envoyaient leurs textes. Bien que de nombreuses lettres aient été détruites, certaines ont été préservées et récemment traduites. Grace à elles, voici les grandes lignes de l’art d’écrire selon Jane Austen. Un credo de Jane Austen : la liberté de l’auteur Jane Austen le répète, c’est l’auteur qui a le dernier mot, et toutes ses critiques sont faites de façon à ne pas blesser. Elle argumente et justifie ses remarques, plaide pour l’humour et le plaisir d’écriture. Enfin, elle refuse de se plier aux modes et surtout elle encourage «  Je t’en prie, continue ! ». Un exemple à suivre pour bien des animateurs et bêta-lecteurs ! Approfondissement et  refus des clichés. Que ce soit au niveau de la construction de l’histoire, des personnages ou du style, Jane Austen rappelle l’importance d’aller au bout des choses, sans accepter la paresse du déjà-vu. Elle encourage toujours à refuser les expressions toutes faites, les personnages conventionnels et n’hésite pas à se moquer des livres qui y ont recours. Je crains qu’Henry Mellish ne soit trop proche du classique Héros de Romans : un jeune homme séduisant, aimable et irréprochable (comme il en existe si peu dans la vraie vie). [p. 34.] De la même façon, elle applaudit les efforts pour donner de la profondeur, refuse le manichéisme. Pour Jane Austen, un personnage un peu ambigu est  « bien plus intéressant ainsi que s’il avait été totalement bon ou affreusement mauvais ». J’imagine que vous êtes d’accord sur le principe, mais il est bon de le rappeler. Nous savons tous qu’il peut être difficile de doter ces personnages que nous chérissons tellement de failles ou de (vrais) défauts. De la  logique et  de la vraisemblance, les piliers d’écriture de Jane Austen. Pour Jane Austen, il faut être crédible aux yeux du lecteur. Inutile, dit-elle à l’une de ses nièces, d’accompagner tes personnages en Irlande, puisque tu n’y as jamais été. Qu’ils fassent leur voyage, mais pas de descriptions que des lecteurs pourraient juger fausses. De la même façon, les personnages doivent agir en fonction d’une seule et même personnalité, tout au long du roman. « Souviens-toi, elle est très prudente ; te ne peux la laisser agir de façon inconséquente ». Enfin, elle rappelle la nécessité de la vraisemblance. A ce niveau, elle fait une remarque que tout écrivain devrait garder en tête : ce n’est pas parce que quelque chose est vraiment arrivé, que ce sera acceptable dans un roman. J’ai supprimé le passage où Sir Thomas conduit en personne les autres hommes à l’étable le jour même où il s’est cassé le bras. Car, bien que ton Papa ait pu sortir se promener tout de suite après avoir soigné sa fracture du bras, c’est tellement inhabituel que cela ne me paraît pas naturel dans un livre.[ p. 23]   Oublier son égo d’auteur et supprimer tout ce qui ne sert à rien. Tout auteur s’est trouvé un jour devant ce dilemme : un passage que l’on aime mais qui ne sert à rien. Jane Austen nous rappelle toute l’importance de savoir supprimer, tout en reconnaissant que cela peut nécessiter un peu de temps. J’espère qu’une fois que tu auras bien avancé, tu te sentiras capable de supprimer certaines des scènes précédentes. Celle avec Mrs Mellish doit être éliminée : elle est insipide et n’apporte rien à l’intrigue. [ p. 32] De la même façon, elle invite à être concise et à ne pas confondre plaisir d’écriture et plaisir pour la lecture : Tu dépeins un lieu fort agréable ; cependant tes descriptions sont souvent trop minutieuses pour rester attrayantes. Tu te disperses et donne trop de détails de-ci de-là. [ p. 29] Et oui, encore un auteur qui nous dit qu’écrire c’est aussi effacer… Pour le plaisir, une dernière citation : Pour terminer en beauté, voici l’un de mes passages préférés où l’on retrouve le ton caustique et la liberté d’idées de Jane Austen.  Elle écrit à sa nièce Anna à propos d’un de ces personnages: Je préférerais que tu ne le fasses pas plonger dans un « Tourbillon de Débauche ». Je n’ai aucune objection pour la chose en elle-même mais je ne puis souffrir cette expression ; c’est une image littéraire tellement rebattue et si ancienne que j’ose affirmer qu’Adam la rencontra lorsqu’il ouvrit le premier roman ». [p. 36] N’hésitez pas à vous découvrir le livre, s’il ne parle pas entièrement d’écriture (seule la première partie en traite vraiment), il vous permettra de voir la distance entre l’auteur et ses personnages. Et ça, c’est aussi un élément à rechercher pour tout écrivain qui souhaite toucher ses lecteurs. Bonne lecture /écriture et à bientôt. Jane Austen, Du fond de mon cœur, lettres à ses nièces, Ed. Finitude, le livre de Poche, 2015, 185 p.

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Campbell, le voyage du héros

Joseph Campbell, Les héros sont éternels, des étapes pour créer un héros

L’objet du livre de Campbell : découvrir la structure interne du parcours héroïque Le livre de Campbell[1] analyse mythes et  contes pour en découvrir la structure.  Facile à lire, avec des extraits de contes à l’intérieur des explications, il suggère beaucoup d’idées. Sur certains aspects cependant, le texte est assez fantaisiste. N’allez pas y chercher des vérités psychanalytiques! Mais c’est une vraie mine si vous souhaitez des informations pour organiser vos histoires ou découvrir (de façon très rapide) comment les narrations peuvent influencer les lecteurs. Utilisation et adaptation : dans quel type d’écriture ? Bien sûr, Campbell s’intéresse au conte, mais si vous faites attention aux étapes proposées, vous verrez qu’elles sont adaptables à bien d’autres genres. Fantasy, aventure, polar, roman initiatique ou d’apprentissage…  Tous contiennent et utilisent ce type de structure. On sait d’ailleurs que l’ouvrage a servi pour le scénario de Stars War ou  Matrix. Donc, une excellente trame que vous la suiviez… ou que vous la détourniez ! Le voyage du héros, douze étapes clés. Dans son livre Campbell présente trois grands moments de l’évolution du héros qui contiennent chacun plusieurs éléments (étapes de séparations, étapes d’initiations, étapes de retour). En réalité, le plus intéressant, c’est qu’à partir de ce livre, douze étapes ont été catégorisées, permettant ainsi d’obtenir une structure « idéale » du parcours héroïques. Les voici résumées pour vous : Le monde ordinaire : étape introductive pour décrire l’univers du l’histoire. Le héros ne se démarque pas encore. L’appel de l’aventure : un pays lointain, une forêt, un sous-marin, un geste maladroit… c’est l’élément perturbateur qui intervient (à vous de trouver à quel(s) texte(s) les exemples renvoient !). Réticences du héros : le personnage a ses limites. Cette étape permet de voir ce qui est « perfectible » en lui. La rencontre du « guide » : une figure protectrice qui servira de mentor. Le passage du seuil : il faut sortir du cocon protecteur et prendre des risques. Dans les contes, il y a pour symboliser ce moment, des torrents, des dragons… A vous de trouver comment dire le point de non-retour dans votre histoire. Les épreuves, alliés et ennemis : ils préparent le héros à l’épreuve suprême, lui permettent de se tester et d’acquérir de nouvelles capacités. Le lieu dangereux : il peut s’agir d’un lieu ou d’une rencontre, qui servira de cadre ou d’enjeu à la dernière épreuve. Épreuve suprême :  le héros affronte la mort (même symbolique) Appropriation de l’objet de la quête (qu’il s’agisse d’une situation sociale, d’une conquête amoureuse, d’un objet…) Retour et parfois nouvelles épreuves avant de ramener l’objet de la quête. Le héros, transformé par l’expérience acquiert un nouveau statut (mariage, position sociale, reconnaissance de son art…). Retour au monde ordinaire : personnage perd son statut de héros pour laisser la place à d’autres quêtes. On trouve des parcours similaires dans les contes bien sûr, mais aussi dans les mythes de passage à l’âge adulte. Il est même discernable dans La flûte enchantée, L’éducation sentimentale et certains romans contemporains ! Intérêt du parcours : L’intérêt principal de ce parcours n’est pas d’avoir une structure à respecter à la lettre, mais plutôt de jouer avec. La garder en toile de fond permets d’avoir des moments symboliques pour faire évoluer l’histoire et le personnage. Enfin, cela donne une strate de significations supplémentaires au texte et permet aussi d’en vérifier l’harmonie et l’organisation. A vous donc, de vous amuser avec ! [1] Le livre a été traduit sous deux titres différents : Le héros aux mille et un visages ou Les héros sont éternels. © Pixabay, CC0 © 2015, L’Echangeoir d’écriture

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cit écrire mémoire d'un métier King

Ecriture, mémoires d’un métier, les conseils de Stephen King.

Ecriture, mémoire d’un métier est un livre agréable à lire, drôle, direct, sans prétention et utile. C’est un parfait contrepoint à L’Anatomie du scénario que je vous avais présenté il y a peu, dans le sens où il préconise presque tout le contraire de ce que propose Truby. A vous de piocher et choisir ce qui vous convient le mieux ! Les conditions à mettre en place pour devenir un bon écrivain Tout d’abord, Stephen King retourne dans son enfance pour trouver ce qui a nourri son imagination. En plus d’être truculente, cette partie du texte s’attaque aux questions de l’origine de l’écriture. Une première partie à méditer pour mieux se connaître, d’autant que SK n’hésite pas à nous transmettre les conseils qui l’ont le mieux aidé à se former.   Les outils de l’écrivain A l’instar de nombreux écrivains, S. K considère l’écriture comme un artisanat. Aussi n’hésite-t-il pas à partager sa « boite à outils ». Dans la deuxième partie, vous trouverez donc les éléments techniques, de langue, de style qu’il emploie et la façon dont il s’est entraîné à les utiliser. Bien sûr, tous ne sont pas adaptables à la langue française. Mais à coup sûr, vous y trouverez des idées, des pratiques à tester et quelques conseils prêts à l’emploi. Des conseils et des astuces d’écriture Ensuite, SK annonce la couleur. Il ne peut rien faire pour les mauvais écrivains. Par contre, il peut aider ceux qui ont du talent à le déployer – à condition qu’ils soient d’accord pour travailler dur-. En 16 paragraphes, il développe ce qu’il considère être les clés d’une bonne écriture. Tout y passe, depuis l’importance des lectures assidues, jusqu’aux questions de rythme, de recherches contextuelles en passant par les descriptions, personnages, relectures ou les pistes pour rendre des dialogues vraisemblables. Encore une fois, c’est à vous de faire le tri. Vous trouverez forcément des choses intéressantes.     Bien que je ne sois pas une passionnée de S.K j’ai relu à plusieurs reprises et avec le même plaisir Ecriture…J’y ai trouvé des conseils essentiels, différents à chaque fois. En ce moment, mon préféré (sans doute parce qu’il m’ait difficile de faire court) est la formule de réécriture : version 2 = version 1 -10% : « tout texte peut, dans une certaine mesure être resserré. (…) Des coupes judicieuses ont un effet immédiat et souvent stupéfiant, – un vrai Viagra littéraire [1]». Alors n’hésitez-pas, allez-y, puisez-y et partagez-nous votre conseil favori, il servira forcément à quelqu’un. [1] Stephen King, Ecriture, mémoires d’un métier, Albin Michel, 2000, col. Le livre de poche, p. 266.

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art du roman, cit complexité

Penser l’écriture avec L’art du roman, Milan Kundera

  Pourquoi (re)lire L’art du roman Je ne sais pas si c’est pareil pour vous, mais après trois semaines sur la nouvelle, j’ai envie d’autre chose. En fouillant dans ma bibliothèque, j’ai retrouvé L’art du roman. Je me suis rappelé à quel point ce livre m’avait paru enrichissant. Après tout, le roman, ce n’est pas seulement, une nouvelle un peu longue… Et le livre de Kundera offre des clés et des pistes pour tout amateur de littérature et tout écrivain qui veut penser l’écriture.

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L’anatomie du scénario, John Truby, la référence des jeunes écrivains?

Première rencontre avec L’ anatomie du scénario Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de participer à un atelier d’écriture d’Alain Absire (prix Fémina, 1987). Pour être honnête, l’atelier ne m’a pas laissé de grands souvenirs, en dehors d’une jalousie chronique envers les québécois qui ont la possibilité de faire des masters et des doctorats en écriture créative. Néanmoins, c’est lors de cet atelier que j’ai entendu parler pour la première fois de L’anatomie du scénario (John Truby) et rien que pour ça, ça valait la peine d’y aller.   Alain Absire avait présenté le livre de Truby comme la Bible de tout écrivain débutant. Si vous ne le connaissez pas, je vous propose de vous y attaquer tout de suite ! L’ anatomie du scénario : un ouvrage ample, concis et précis. Dans son ouvrage, John Truby part du principe qu’une bonne histoire n’est ni une structure mécanique, ni une belle anecdote que l’on pourrait raconter n’importe comment. Une bonne histoire, pour Truby, est une histoire organique. Elle évolue comme le ferait un être vivant. Elle doit toucher le lecteur émotionnellement et intellectuellement. Enfin, elle doit aussi être symbolique pour offrir une meilleure compréhension de la vie. Vaste programme, n’est-ce pas ? Une bonne histoire est une histoire organique. Elle évolue comme le ferait un être vivant. Elle doit toucher le lecteur émotionnellement et intellectuellement. Enfin, elle doit aussi être symbolique pour offrir une meilleure compréhension de la vie. Aussi ambitieux soit-il, John Truby croit que chacun peut s’en approcher avec un peu d’imagination et les techniques adéquates. Il propose donc un chapitre sur la prémisse (travailler son idée) et ensuite un chapitre pour chacune des étapes de la structure narrative. Sont traités les personnages, le débat moral, l’univers du récit, le réseau de symboles, l’intrigue, le tissage des scènes, la construction des dialogues. Les points les plus intéressants En plus de la richesse des thèmes abordés, la façon d’expliquer et d’illustrer rend le livre passionnant et facile à lire. Pour moi, les chapitres les plus intéressants sont celui sur la prémisse (créer, affiner, approfondir une idée) et celui sur le débat moral. John Truby y montre comment un livre accroche par l’évolution d’un personnage qui implique émotionnellement le lecteur. (On parlerait de « projection » en psychologie). Il découvre ensuite différentes techniques pour créer ce vécu chez le lecteur. Par ailleurs, chaque explication est suivie de plusieurs exemples (romanesques ou cinématographiques) qui sont analysés pour en révéler le fonctionnement. Outre le fait que cela multiplie les idées d’écriture, vous n’en sortirez pas sans avoir envie de revoir Le Parrain, relire Les Hauts de Hurlevent ou redécouvrir Casablanca, en vous demandant comment vous n’aviez pas perçu tous ces détails plus tôt… Troisième élément : les fiches d’écriture. Chaque chapitre se termine par un exercice permettant de tester tout ce que l’on vient d’apprendre. C’est idéal pour mémoriser les informations et aussi les adapter à ses propres projets. Allez, au travail ! Enfin, dernier point non négligeable, la présentation est claire et soignée. Il y a des schémas, des encadrés, des rappels… Le style est fluide. Les résumés des œuvres analysées coupent agréablement les parties didactiques. On lit avec intérêt, avec passion et sans avoir l’impression d’étudier. Quelques éléments à nuancer L’ anatomie du scénario procède pourtant d’une vision unique de la fiction. Pour Truby, une bonne œuvre raconte une transformation morale à travers une structure et des symboles, quel que soit le genre de la fiction. A l’en croire, il ne pourrait y avoir d’œuvre valable en dehors des cheminements initiatiques ou d’apprentissage. Or, on sait bien que ce n’est pas le cas. Je pense notamment au genre policier ou historique. Marlowe, Adamsberg, Brunetti et compagnie se transforment-ils radicalement à l’intérieur de chaque œuvre ? Non, évidemment. Sinon l’idée même de la série ne serait pas viable. (Attention, je ne dis pas qu’ils n’évoluent jamais. Je souligne juste que ce n’est pas une transformation ontologique, qui remet en question la nature du personnage). D’autre part, il s’agit d’écriture du scénario. Donc, même si tous les conseils sont applicables à d’autres formes d’écriture, il reste qu’il manque les questions spécifiques à l’écriture littéraire. Vous n’y trouverez rien sur le style, le rythme, les figures…. A vos plumes ! Malgré ces quelques nuances, c’est un ouvrage que je recommande vivement. Personnellement, je l’utilise autant pour préparer un projet que pour cibler des pistes de relectures ou créer une proposition pour un atelier. Bien sûr, il ne s’agit pas de le suivre à la lettre. Mais, dès que l’on adapte ce type de conseils à son propre travail, c’est extrêmement enrichissant. Envie de tester ? Prenez un exercice d’écriture et postez-nous le résultat ! J’ai hâte de voir vos propositions.

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