Le mot juste. Voici notre deuxième volet dans notre recherche de l’excellence en littérature.
Chercher le mot juste, l’image nouvelle (Albert Camus et Sophie Divry)
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde1 » Camus
En littérature, chaque mot désigne et incarne une réalité. Se tromper de mot, c’est donc risquer de ne transmettre qu’une version troublée ou travestie de votre idée initiale. De même, chercher le mot juste revient aussi à être conscient des clichés, soit pour les éviter, soit pour jouer avec. Le mot choisi ne sera alors pas imposé par ce que l’on a l’habitude d’entendre. Ce sera celui qui dit le plus justement l’idée, l’image, la musique que nous souhaitons transmettre. Ainsi, nous pouvons espérer surprendre le lecteur et éveiller en lui un vrai plaisir esthétique.
Car comme le dit Sophie Divry, la jouissance de la lecture : « réside autant dans l’accord parfait entre l’idée et l’image trouvée que dans le plaisir de rencontrer un vocabulaire métaphorique rare et contemporain. Des images que les écrivains du passé n’auraient pas pu faire.2 »
Comment faire pour trouver le mot juste ?
Avant ou en parallèle du travail de relecture.
- Prendre le temps de penser le thème de son texte. C’est-à-dire d’une part, se raconter sa propre histoire et l’observer de tous ses côtés. On peut essayer d’argumenter avec soi-même, avec nos raisons et nos perceptions. Ainsi on repoussera au maximum les limites de notre pensée.
- Une autre possibilité pour préciser l’univers de notre récit est de l’explorer avec les cinq sens, afin d’en trouver les détails les plus révélateurs. Car si l’auteur n’est pas capable de voir une atmosphère, comment pourrait-il la transmettre au lecteur ? Il importe aussi de ne pas négliger le temps pour laisser les choses décanter en soi. C’est ainsi que notre regard pourra peu à peu transformer un rapport au réel en récit.
Un petit truc pour la relecture :
- Se relire de façon séquencée : phrase par phrase, puis paragraphe par paragraphe, puis page par page… En vérifiant ainsi l’usage des mots, leur signification, leur place, les jeux de sonorité, les échos…
- Et pourquoi pas, pareil à ceux qui, comme moi, ont des soucis en orthographe, commencer par la fin ? Cela oblige à penser les phrases comme autant de pierres à polir. Ensuite seulement, on peut recommencer une relecture par le début, et cette fois-ci vérifier l’harmonie du tout.
Pour trouver le mot juste… purifier le texte (Saint-Exupéry)
Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à retrancher.3
Peut-être que l’un d’entre vous sera capable de me démentir, mais je ne crois pas avoir jamais lu d’auteurs déclarant inutiles les suppressions dans la relecture. De Cervantès à Garcia Marquez en passant par Stephen King, tous ont rappelé l’importance d’alléger les premières versions des mots, expressions, voir paragraphes inutiles. De façon plus générale, il n’est pas inutile de savoir choisir parmi les textes ébauchés, ceux que nous garderons et terminerons et ceux que nous laisserons de côté.
Petit florilège des témoignages d’auteurs :
ou comment trouver le mot juste de la façon la plus directe possible !
- Miguel de Cervantès : “Se contenant donc dans les étroites limites de la narration, quoiqu’il ait assez d’habileté, de capacité et d’intelligence pour traiter de l’univers, [l’auteur] demande qu’on ne rabaisse pas son travail, et qu’on lui donne des louanges, non pour ce qu’il a écrit, mais pour ce qu’il a laissé d’écrire.” L’ingénieux don Quichotte de la Manche, II.
- Gabriel Garcia Marquez: “Il faut apprendre à couper, à refaire. Un bon écrivain se reconnaît moins à ce qu’il a publié qu’à ce qu’il a jeté à la poubelle. Évidemment les autres n’en ont pas conscience, mais lui si. Il sait ce qu’il enlève, ce qu’il réécrit, ce qu’il améliore.” L’atelier d’écriture de Gabriel Garcia Marquez.
- Stephan King : “tout texte peut, dans une certaine mesure, être resserré. Si vous n’arrivez pas à en enlever dix pour cent tout en conservant l’intrigue et le charme de l’histoire, c’est que vous n’essayez pas vraiment. Des coupes judicieuses ont un effet immédiat et souvent stupéfiant – un vrai Viagra littéraire. “ écriture, mémoire d’un métier.
Comment faire :
- Se donner un nombre de signes maximum à ne pas dépasser est une excellente contrainte. Elle oblige à chercher le mot juste. Au fur et à mesure que vous vous connaîtrez mieux, vous serez capable d’affiner, à la façon de Stephen King, votre proportion idéale entre une première écriture et une version finale.
- On peut aussi considérer qu’un pas important est franchi dans notre rapport à l’écriture lorsque l’on devient capable de sacrifier les « belles inutiles ». Ce sont ces phrases certes bien jolies mais qui n’apportent rien au texte, en dehors du plaisir pris à les écrire. Personnellement, quand je les trouve vraiment chouettes, je les garde à part sur un autre cahier. Mais pour être honnête, jusqu’à présent, de toutes celles que j’ai gardées, une seule m’a resservie !
- Il importe aussi de traquer les répétitions, pas seulement les répétitions de mots, mais aussi les répétitions d’idées, les paragraphes inutiles, les portions de vie des personnages sans rapport avec le centre du texte… Attention cependant : on nous apprend souvent à réduire les descriptions. Il est vrai qu’une description trop étendue est ennuyante. Cependant il ne faut pas oublier le plaisir esthétique du lecteur ! Faites en sorte que vos descriptions soit si signifiantes et suggestives qu’elles deviennent indispensables. Si elles ne le sont pas … et bien jetez-les !
- Comment savoir si l’on a suffisamment supprimer ? Lisez votre texte à voix haute après l’avoir laissé reposer plusieurs semaines : si vous ne buttez pas sur les phrases et si vous ne vous ennuyez pas en relisant lentement, a priori vous êtes sur la bonne voie ! Et à chaque fois que vous avez envie de vous arrêter, rappelez-vous Saint Exupéry, la perfection ne sera là que lorsqu’il n’y aura plus rien pour gêner l’envie de poursuivre la lecture.
Écouter le texte (Flaubert et d’autres)
Connaissez-vous l’histoire du « gueuloir » de Flaubert ? Flaubert était très attaché à la perfection de la langue. Il voulait atteindre une forme de prose, si juste, si rythmée, si musicale et sensible que personne avant lui n’aurait réussi à donner autant de force au langage. L’un de ces trucs de relecture était de hurler « gueuler » son texte de bout en bout, pour vérifier que tout coulait sans autres ruptures que celles qu’il avait décidées.
Essayez, vous aussi, de lire à voix haute, sur des tons et des puissances vocales différentes, votre texte. Ecoutez-vous le lire. Vérifiez sa fluidité, son rythme, son esthétique. Analysez le rapport entre les sonorités des phrases et l’effet que vous voulez provoquer. Vérifiez les ruptures, les cassures, les échos, les périodes de tranquillité et celles de tensions. Vérifiez que chaque moment a son rythme, comme si vos mots étaient une musique pour emporter le lecteur.
Vous pouvez comme Flaubert, lire le texte de bout en bout. Mais vous pouvez aussi le faire de façon séquencée, par petits bouts, puis de plus en plus grands. Cela vous permettra de travailler un passage en particulier ou de vérifier l’effet général de votre texte. Vous pouvez aussi demander à quelqu’un de confiance de lire votre texte à voix haute pendant que vous prenez des notes. C’est une expérience que je déteste. Mais je reconnais que cela peut être utile. J’entends ainsi bien mieux les passages non nécessaires, les répétitions et les manques de précision (qui engendrent des tonalités différentes que celle que j’attends). A vous de tester !
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1 Albert Camus. 2 Sophie Divry, Rouvrir le roman. 3 Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, III.