« Je suis volontaire ». A ces mots hésitant, le pilote se retourna, surpris.
-Pardon ?
-Vous avez besoin d’un pilote ? J’ai 500 heures de vol sur Spitfire et je suis formée à la navigation, dit-elle en faisant un pas en avant.
-Mais vous n’y pensez pas ! C’est la guerre ! La vraie… C’est autre chose que de livrer des avions.
-Je suis votre meilleure option….- Le ton était plus convainquant.
-Il faut du cran et du sang froid. Il faut maîtriser ses émotions ! la coupa-t’il.
-Je suis votre meilleure option pour que la mission se fasse avant le coucher du soleil.
-Elle n’a pas tort ! -C’était la première fois que l’officier de renseignement se joignait à la discussion- Si les allemands s’apprêtent à nous attaquer, je préférerais être mis au courant. La surprise de ce matin était, disons… désagréable.
Le silence régnait dans la salle quand le chef le rompit : « Ne me le faites pas regretter ! »
Il lui présenta la situation de la ligne de front, les terrains ennemis à éviter, les zones de DCA à contourner. Elle eut également droit à un cours accéléré sur le maniement de la caméra. Elle prit les derniers bulletins météo et traça sa route sur la carte en notant les points de passage. Tout en l’aidant à se sangler, il lui donnait les derniers conseils : « N’oubliez pas, votre vie est plus importante que la mission, pas de bravoure inutile. Une dernière chose, si vous êtes abattue derrière les lignes, ne vous faite pas prendre vivante ».
Elle se demanda si finalement c’était une bonne idée. Son genou droit se mit à trembler. « Allez du courage, tu voulais de l’action, te voilà servie » marmonna-t-elle. Puis très vite l’expérience reprit le dessus. Le moteur démarré, elle roula jusqu’au seuil de piste et décolla. Son genou ne tremblait plus. Heureusement la couche nuageuse était basse, cela lui permettrait de s’y réfugier en cas de mauvaise rencontre. Tout en surveillant les alentours, elle se préparait à sa mission. A cinq minutes de l’objectif, elle décida de descendre. Alors qu’elle passait en palier, elle vit au loin des lueurs scintillantes. Cela lui rappela les feux d’artifices de son adolescence qu’elle trouvait si romantiques. Quelque chose éclata à droite, puis à gauche et soudain le ciel s’embrasa. Stupeur ! Ce qu’elle avait pris pour des lueurs était en fait le départ des coups de DCA. Après les 88 voici les 37 et les 20 millimètres qui entraient dans la danse. Les obus fusaient. C’était un miracle que l’avion n’ait pas encore été atteint. Elle plongea un peu plus vers le sol. Clac ! Bang !. Touché… Mais rien de vital, elle continuait. Elle survolait maintenant l’objectif en essayant de rester le plus stable possible. Elle passa en un éclair au dessus des troupes se jetant à couvert à son passage. A mesure qu’elle s’éloignait, l’intensité du feux diminuait. Quel étrange sensation de se retrouver à nouveau dans un ciel calme alors que quelques instants auparavant il bouillonnait. Elle était trempée de sueur et toute étonnée de s’en être sortie vivante. Tout en reprenant ses esprits, elle commença à vérifier si tout allait bien. L’avion répondait normalement. Alors que ses yeux parcouraient le tableau de bord, elle fut saisie d’horreur… Elle avait oublié enclencher la caméra !
Son genou se remit à trembler. Il n’était pas question qu’elle y retourne. C’était déjà un miracle qu’elle respire encore. Elle se rappela les paroles du soldat : revenir saine et sauve à n’importe quel prix. Et puis, on ne lui reprocherait pas d’avoir raté cette mission. Après tout, durant toutes ces années, on lui avait bien fait comprendre que l’on n’en demandait pas trop à une femme ! C’est certain, on l’accueillerait avec compassion et bienveillance, la félicitant même d’avoir essayé, et on n’en parlerait plus.
Manette au plancher, manche à droite le Spitfire fit un superbe demi tour. Son genou ne tremblait plus. Elle essaya d’analyser la situation. Malgré tout, elle gardait l’initiative, même sur leur garde, ils ne s’attendraient pas à avoir aussi vite un deuxième passage. Elle choisit d’arriver par le nord mais cette fois en s’aidant du relief pour se soustraire le plus possible à la vue des artilleurs. L’avion volait bas… Plus bas que lors du premier passage… Dernières vérifications. Ne pas oublier enclencher cette fichue camera ! L’objectif n’était plus très loin. Instinctivement, elle tourna la tête à droite et vit des éclairs saccadés à la lisière d’un bois. Plus d’hésitation, elle piqua pour coller le plus possible au terrain. Déjà les premiers obus éclataient derrière elle. Le Merlin délivrait toute sa puissance faisant trembler le capot. L’artillerie se déchaînait, c’était maintenant un mur de ferraille qu’elle devait traverser. Elle rentra ses épaules et baissa la tête, illusoire protection contre ce déchaînement de fureur. Elle était encadrée par les traçantes. Par intermittence un « Bang » lui confirmait qu’elle était bien la cible. Sa vitesse était maintenant effrayante. Elle passa au dessus de l’objectif en trombe et se mit à zigzaguer dans le plan vertical et horizontal. Il fallait rendre imprévisible sa trajectoire pour désorienter les pointeurs. A nouveau, sans prévenir, le ciel redevint calme. Elle en profita pour vérifier l’état de la machine. Les commandes répondaient normalement, RAS. Elle coupa la caméra. Vérifications extérieures faites, elle constata un trou dans l’aile. « On pourrait sans problème y faire passer la tête de Mr Hasting ». A cette pensée, elle ne put s’empêcher de rire nerveusement. Tout en relâchant la pression, elle prit le cap de Melsbroek.
« Quel jeux de cons quand même !»
FIN
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