Pleine lune: les ingrédients du roman policier
Un inspecteur de police à la poursuite d’un tueur qui a commis un crime si terrible qu’il devrait être possible de le reconnaître au premier coup d’œil… La nuit, la pluie, l’automne et la peur. L’ombre du terrorisme basque qui plane. A priori, tous les ingrédients du roman noir sont là. Mais Pleine lune est plus qu’un roman policier.
Entre tous les porteurs de secrets misérables ou atroces ou mesquins ou puérils, cet homme était le monarque clandestin, le maître absolu de tous les secrets, de la pire des infamies jamais avouées.
Plus qu’un roman policier
A la suite du héros que l’enquête oblige à un retour sur lui-même, le lecteur plonge dans une petite ville andalouse parmi des personnages forts qui révèlent l’art de l’écrivain. Il y a d’abord l’inspecteur ainsi que l’institutrice de la première victime, une femme forte et cultivée à laquelle le policier voue bientôt un amour fervent mais pusillanime. Autour d’eux, le roman grandit avec les parents de l’enfant assassinée, le médecin légiste, la deuxième fillette enlevée et, même, l’assassin. Chaque personnage vit sous le regard du lecteur tandis que le suspens croit, lentement et sûrement. Pleine Lune est aussi un texte engagé, qui montre les victimes trop souvent dédaignées. Captivant et riche, ce roman ne vous laissera pas indifférent.
Des pistes de réflexion pour tout auteur
Comme toute grande œuvre, Pleine lune a beaucoup à apporter aux écrivains novices. Voici quelques pistes de travail autour de la structuration du texte ou de la mise en place des personnages.
Pleine lune :Une structure originale et pourtant presque insensible.
Plusieurs points de vue :
Le roman est composé d’une série de chapitres centrés sur des personnages différents, qui offrent à chaque fois un nouveau point de vue sur l’histoire. La structure fonctionne à base d’échos, de parallèles, de sauts temporels… L’intrigue gagne ainsi en légèreté et en efficacité tandis que l’auteur peut approfondir la vie et la psychologie des personnages. On perçoit mieux aussi le passage du temps et la durée de l’enquête. On est loin du roman policier classique mais cette technique fonctionne parfaitement.
Mini-structure et macro-structure :
Certains chapitres sont presque des nouvelles, avec une structure interne. Ainsi, le chapitre 2 est circulaire, commençant et terminant de la même façon, pareil à la vie du personnage qui semble ne pas savoir où il va. De plus, le livre terminé, on s’aperçoit qu’il y avait plusieurs intrigues entrelacées. L’œuvre acquiert ainsi un réalisme et un suspens remarquables, conciliant la mise en scène des imprévus de l’existence et la vraisemblance d’une histoire symbolique.
La force du Pleine Lune : l’intimité entre le lecteur et les personnages
On se souvient de certains livres pour leur suite de péripéties – l’aventure qu’ils nous font vivre. Mais d’autres romans nous attachent à eux plus fortement, par l’affection que suscitent en nous leurs personnages. Dans Pleine lune, l’auteur crée de l’empathie même avec l’assassin. Mais comment ? Voici quelques-unes des pistes que nous avons recensées :
- Il y a peu de descriptions physiques, et elles ne sont jamais des introductions au personnage : le récit n’est pas ralenti.
- A l’inverse, le lecteur est plongé dans l’intériorité des personnages grâce aux
nombreux dialogues et passages en style indirect libre (le récit est présenté par les pensées des personnages et non par la voix du narrateur). Du fait de la proximité établie avec eux, le lecteur vit leurs péripéties intérieures (bilan, traumatisme, défi…) qui deviennent un enjeu du roman au-delà de l’intrigue policière.
- Enfin, l’auteur a recours à la mise en perspective à travers le regard des autres personnages. Il crée une vision globale des protagonistes (ce qu’ils sont, -ou pensent être- et ce que perçoivent les autres). Si le regard des personnages est admiratif, affectueux ou amoureux, cela contribue à former une image attractive pour le lecteur.
Monter, ne pas dire : éthique de l’auteur
Pleine Lune, qui a été écrit en partie en réaction à un fait divers, comporte plusieurs éléments permettant de faire passer une opinion qui enrichit le texte sans faire disparaître le plaisir de lecture.
- Dans Pleine lune, il n’y a pas de thèse. Par contre, le roman montre des personnages en proie à une situation qui invite à la réflexion éthique. Les éléments moraux les plus directs passent par le discours des personnages.
- Si les personnages ont des opinions personnelles, elles ne sont pas celles de l’œuvre. C’est au lecteur de tirer ses conclusions d’après les différentes valeurs proposées.
- L’auteur a recours aux symboles : c’est le cas pour la présentation de la presse qui est reliée à la pleine lune, c’est-à-dire à l’heure de l’assassin.
Finalement, on pourrait dire que c’est la mise en récit de l’opinion de l’auteur qui fait l’histoire et c’est en cela que l’œuvre touche le lecteur, lequel est marqué émotionnellement et non rationnellement. L’impact est beaucoup plus profond.
Pleine Lune est un grand roman qui se lit facilement tout en étant complexe et riche.
Et vous, que donneriez-vous comme modèle de roman engagé ? Avez-vous déjà tenté ce type d’écriture ? Partagez-nous votre expérience !
Par Malie, 17/11/2016
Pleine Lune (Plenilunio), Antonio Muñoz Molina,Seuil, Paris, 1998 (1997), 439p. trad. Philippe Bataillon © Photodisc/Getty Images © Pixabay, (CCO) © Pixabay, (CCO) © 2015, L'Echangeoir d'écriture