Appel à textes, quatrième sélection : régner sur l’ombre, Antony Crif
Encore une belle découverte aujourd’hui avec notre quatrième sélection pour l’appel à textes « expérimentation libre avec la nouvelle ». Voici Régner sur l’ombre, par Antony Crif. Mais d’abord je vous laisse découvrir les contraintes, afin que vous puissiez mieux apprécier le travail d’écriture : Les contraintes: Forme : nouvelle instant. Genre : policier Réécrire une nouvelle de Conan Doyle : Le Rituel des Musgrave Ecrire cette nouvelle avec un narrateur différent : la couronne. Faire partager aux lecteurs des émotions que l’on attribue à un objet. Bonne lecture ! Régner sur l’ombre Une lueur, dans l’obscurité. D’abord un simple rai qui filtre sous la porte du meuble, puis une bougie et, une seconde plus tard, le visage de mon visiteur. Même si une vitre nous sépare, j’ai l’impression de percevoir son haleine, chargée de liqueurs. Il tourne sa chaise vers ma cage de verre et s’y laisse lourdement tomber. Ensuite il m’observe. Sans un mot. Qu’il m’admire ou me déteste, j’aimerais simplement qu’il me sorte de cette vitrine ou qu’il vienne me scruter à la lumière du jour. Je hais l’obscurité, la solitude, le confinement et dans ce domaine, je suis devenue experte. Au départ, j’ai cru que cela ne durerait vraiment que quelques mois. Lorsqu’il m’a confié aux Musgrave, Charles Ier a promis que ce serait très bref. Il aura pourtant fallu Brunton, un domestique, plus malin que les nobles qui m’avaient dissimulée dans une cave et oubliée, rompe des siècles d’ignorance. Le majordome fut le premier à déchiffrer le fameux rituel que chaque héritier ânonnait à sa majorité sans comprendre que c’était une carte pour me retrouver. J’étais prête à tout pour quitter enfin le manoir d’Hur1stone et m’éloigner à jamais de cette prison souterraine. Des voix étouffées, deux personnes au moins s’affairaient à écarter les bûches qui bouchaient la voie de la liberté. Il y eut ensuite le souffle court de ceux qui soulevaient un objet lourd et le bruit du bois à nouveau. Le craquement des bûches que la dalle écrasait, puis le gémissement de celle qui servit de dalle pour maintenir l’ouverture. Ce que je perçus en premier de mon sauveur ce furent ses pantoufles. Il était en habit mais portait des pantoufles, et la lueur de la lanterne confirma que je voyagerais de nuit. Essoufflé par l’effort, Brunton était rouge d’excitation. Il répétait en écartant de moi le bois pourri : -La voilà ! Elle était là depuis tout ce temps ! J’eus juste le temps de le voir, de sentir ses doigts avides me saisir. Il me glissa dans un sac qu’il tendit vers le haut. Il me donnait à son complice. Le sac passé d’une main à l’autre, je découvris dans la semi-obscurité le visage d’une femme, très pâle. Rachel Howells. C’était 1’ex-fiancée de Brunton, je me demandai un instant pourquoi il avait fait appel à elle plutôt qu’à sa dernière conquête. Puis je compris. Rachel était la seule des huit femmes du manoir capable de l’aider à soulever la lourde dalle Mais pourquoi avait-elle accepté d’aider ce Don Juan qui l’avait abandonnée? Après un regard dédaigneux, elle me rejeta au fond du sac et nous lança tous deux sur un tas de bûches. Elle se tourna vers 1”homme qui levait vers elle la lanterne et voulait s’extraire par la mince ouverture. “C’est ton tour de pleurer et de souffrir “ J’entendis ensuite glisser la bûche, et un éclat de rire hystérique qui ne couvrit pas le fracas de la dalle se refermant. Vivre une éternité ne rend pas insensible à la mort. Ce malheureux était le premier homme à me chercher depuis des siècles, le seul regard d’envie que j’avais croisé. Ses cris résonnèrent longtemps à mes oreilles. Je me répétais que s’il n’avait pas ouvert ma tombe, il serait encore vivant. Rachel ne l’avait pas tué à cause de moi, mais lui en avoir fourni l’occasion était déjà un poids pour mon âme. Aujourd’hui encore je l’entends gémir, supplier, et frissonne à l’idée que j’aurais pu rester au fond à ses côtés, assister à son agonie. L’instant suivant, la jeune fille empoigna le sac et grimpa en courant les escaliers, elle traversa le parc et retourna à sa chambre. Je compris qu`elle était folle lorsqu’elle nous jeta le sac et moi sous son lit. Après une nuit passée à sangloter, elle annonça à son employeur que Brunton était parti. Au milieu de la nuit suivante, habillée à la hâte, elle s’empara de nous, passa par la fenêtre et courut vers le lac. Le plaisir de la course : sentir le vent traverser le tissu, me débarrasser des dernières odeurs de moisi et de champignon. J’avais beau me dire que j’allais être la cause d’une deuxième mort, le mouvement et la vitesse m’enivraient. Mon plaisir fut à son apogée lorsque, profitant de son élan, la solide Rachel nous propulsa le sac et moi de toutes ses forces vers le lac. Elle s’en détourna elle-même à mon grand soulagement, et prit la direction de la ville. Une mort pesait déjà sur ma conscience. Que cette femme se débrouille seule avec sa folie. J’étais dehors, à l’air libre. Le sac et moi avons flotté quelques instants sur l’eau. Je n’avais qu’une hâte, que le soleil se lève enfin. Sentir un rayon se poser sur moi, même à travers la toile, ou à travers le prisme de l’eau serait une véritable renaissance. Puis je fus secouée, des coups s’abattaient sur l’eau autour de nous. La drague ! Réginald Musgrave et ses gens, alertés par la garde-malade, draguaient le lac à la recherche d’un corps. Et nous fûmes le seul résultat de leur acharnement. Grâce à une lanterne j’aperçus fugitivement la tête ensommeillée de mon noble gardien, il prit à peine le temps de m’observer. Aucune curiosité, pas la moindre lueur de compréhension dans son regard. Même si cela faisait cinq ans que ce nigaud avait récité le rituel on pouvait espérer qu’il y penserait. Pas une seconde ! De retour au manoir, il nous fourra dans
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